Il y a un monde du paradis, un commerce du paradis, un rêve du paradis, un marketing du paradis. Chacun y va par un chemin pour le rejoindre. Certains s’isolent du monde, ils deviennent ermites, comme si s’extraire de ce monde d’ici-bas signifie rejoindre le paradis tant désiré. D’autres détruisent le monde comme si le paradis est au-delà des ruines, derrière les catastrophes, après le grand désastre. Cette liste pourrait être poursuivie à l’infini, tellement ce fantasme traverse les récits, les mythologies et surtout l’histoire de l’art.
Il y a pourtant une vérité à avouer : le Paradis n’existe pas, non pas à cause de son absence, mais à cause de sa sur-présence dans les imaginaires. Et c’est bien de cette sur-présence que traite l’exposition de Mehdi-Georges Lahlou à la C-Box sous le titre Paradis Incertain.
Ni extrait du monde, ni détruisant le monde, l’artiste rappelle dans son œuvre qu’il faut juste y revenir pour espérer un paradis réel. Celui de la matière, celui des sons, celui des odeurs, celui du flux des paroles, de l’interminable danse des rencontres à travers une terre globalisée. Alors, pour ce faire, il faut requestionner les images, les forcer à tourner le dos aux chimères.
Dans cette exposition, le pari est risqué à double titre.
D’abord, il y est question d’une seule œuvre au sens littéral du terme. On ne le dira jamais assez, tout artiste ne produit qu’une œuvre qu’il décline jusqu’à son dernier souffle. Lorsque Mehdi-Georges Lahlou m’a demandé d’assurer le commissariat de son
exposition, je lui ai proposé de n’exposer qu’une seule de ses productions, une photo qui porte le titre : Paradis Incertain, 2013. Outre la « beauté » et l’extrême justesse de cette œuvre, elle est parmi les productions de l’artiste la seule où il tourne le dos – l’artiste est toujours le modèle de son œuvre. La figure flotte dans le noir et, on le suppose, regarde au plus loin de l’abîme sans
jamais donner un seul espoir de révéler ce qui est vu. Le paradis est aussi incertain que caché.
Ensuite, il sera question d’une œuvre à l’heure « de sa reproductibilité technique »*. Une fois la photo placée au centre de l’espace, elle se reproduira à saturation des cimaises. Une perte de l’aura ? Sûrement pas. La cohabitation, dans le même espace, et de l’œuvre et de ses reproductions, est une tentative pour restaurer l’aura de l’œuvre. Il est question de déployer sa polysémie et d’affirmer, ou du moins souligner, que le rêve de l’unicité est en passe de disparaître.
L’exposition donnera à voir, dans une mise en scène de l’artiste, l’image d’une humanité en attente de paradis. Des êtres qui tournent le dos au monde ou aux chimères, mais tous regardent au loin l’absence de ce rêve tant attendu. On y attendra peut-être qu’ils se retournent, mais c’est bien là que l’œuvre s’arrête pour que le réel commence.
Abdelkader DAMANI
Commissaire de l’exposition
* Walter Benjamin, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, in Œuvre III, Paris, Folio essais, 2000
© Mehdi-Georges LAHLOU
Exposition